Association canadienne d’habitation et de rénovation urbaine (ACHRU)

Mémoire aux consultations prébudgétaires fédérales – Août 2011

Résumé

Le présent mémoire a été préparé selon les exigences du Comité permanent des finances de la Chambre des communes. Il porte donc sur le rôle du logement dans la reprise économique et la création d’emplois, mais pas sur d’autres raisons d’investir dans le logement abordable, comme une meilleure santé ou le respect des obligations internationales en matière de droits de la personne.

Environ 1,5 million de ménages au Canada n’ont pas accès à un logement convenable à un prix abordable. Ces familles doivent choisir de payer le loyer ou l’épicerie. Dans cette situation stressante, elles n’ont a tout simplement pas d’argent pour l’éducation et la formation professionnelle qui amélioreraient leur sort. Les familles utilisent toutes leurs ressources afin de ne pas se retrouver parmi les 150 000 à 300 000 sans-abris au Canada; parce qu’il devient extrêmement difficile de se sortir de l’itinérance.

La bonne nouvelle, c’est qu’il n’est pas nécessaire de faire un choix entre appuyer les ménages canadiens dans le besoin et stimuler l’économie. Dans le présent mémoire, nous décrivons trois demandes pragmatiques pour le budget 2012 qui permettront d’atteindre ces deux objectifs. Notre première proposition permettrait aux fournisseurs de logements sociaux d’effectuer les réparations, rénovations et remises en état nécessaires pour qu’ils puissent continuer à proposer des loyers abordables lorsque prennent fin les subventions qu’ils reçoivent du gouvernement fédéral. Notre deuxième proposition vise à offrir des encouragements aux promoteurs afin qu’ils construisent des habitations locatives, en particulier des habitations dont le loyer ne dépasse pas le prix du marché. Notre troisième proposition renforce les résultats importants des programmes fédéraux existants en matière de logement et d’itinérance. Si elles sont mises en œuvre, ces propositions stimuleront l’économie, créeront des emplois, rendront les habitations plus abordables et amélioreront dans bien des cas l’efficacité énergétique.


À propos de l’ACHRU

L’Association canadienne d’habitation et de rénovation urbaine (ACHRU) est le porte‑parole national du Canada touchant les diverses questions et solutions en matière d’habitation abordable. Les membres de l’ACHRU comprennent notamment des fournisseurs de logements sans but lucratif, des municipalités, de ministères provinciaux et territoriaux de l’Habitation et des organisations qui appuient les individus et les familles sans abri. Depuis plus de 45 ans, l’ACHRU représente les intérêts de ses membres auprès du gouvernement fédéral; fournit des services de sensibilisation et de formation à ses membres, mène des recherches et élabore des politiques.


Pourquoi l’habitation importe-t-elle pour la reprise économique et la prospérité continue?

Comment assurer une reprise économique soutenue au Canada?

Investir dans le logement abordable appuiera une reprise économique soutenue. Les mesures de dépense du Plan d’action économique du Canada (PAEC) sont un grand facteur qui a permis au Canada de sortir relativement indemne de la récession mondiale. Le PAEC prévoyait quelques mesures liées au logement, d’une valeur de 2 milliards de dollars sur deux ans, afin de créer des emplois par la construction et la rénovation de logements sociaux. Cet investissement a été important car il a permis d’obtenir de grandes contributions provinciales et territoriales (plus de 1,3 milliard de dollars). En outre, l’investissement dans le logement des familles à faible revenu a une incidence considérable sur l’activité économique parce que, lorsque les ménages à faible revenu n’ont plus besoin de consacrer une proportion très élevée de leur revenu disponible au logement, ils consomment d’autres biens de première nécessité, ce qui entraîne des retombées économiques rapides et positives.


Comment créer des emplois durables et de qualité?

Investir dans des logements abordables crée des emplois de qualité, vu que la construction d’habitations demande beaucoup de main-d’œuvre. La construction de logements neufs a un effet de levier élevé, chaque nouvelle habitation créant de quatre à six années-personnes d’emploi direct et indirect[1].

La plus récente évaluation du PAEC, qui analyse l’incidence sur l’emploi des investissements dans le logement le confirme. L’examen des dépenses et des multiplicateurs révèle que les mesures liées aux investissements dans le logement ont eu un effet multiplicateur de 1,4 sur le PIB réel en 2010, ce qui est nettement plus élevé, pour cette année-là, que l’incidence des mesures liées à l’impôt sur le revenu des particuliers (0,9) ou des mesures liées à l’impôt sur le revenu des sociétés (0,2)[2].

Pour accroître davantage la capacité de création d’emplois des logements abordables, quelques collectivités ont décidé d’employer des personnes qui ont habituellement beaucoup de mal à se trouver un emploi – comme un détenu qui sort de prison-, avec des résultats impressionnants[3]. Par exemple, Warm Up Winnipeg, un membre de l’ACHRU, emploie surtout de jeunes Autochtones, dont un grand nombre ont été incarcérés, afin de les former pour qu’ils effectuent des travaux d’amélioration de l’efficacité énergétique de logements abordables. Dans ce cas, les avantages vont au-delà de la création d’emploi et de l’efficacité énergétique, puisque les coûts publics sont réduits dans d’autres domaines du fait que ces personnes acquièrent les compétences nécessaires pour devenir autonomes.

Investir dans la remise en état de l’aspect énergétique des habitations pour obtenir une efficacité accrue améliore l’abordabilité des logements et les résultats environnementaux, tout en créant des emplois. D’autres pays ont reconnu le lien entre la rénovation et l’abordabilité des habitations. Le Royaume-Uni s’est engagé à fournir des rénovations éconergétiques à sept millions de foyers d’ici 2020, en accordant la priorité à ceux à faible revenu, et à tous les ménages d’ici 2030. Cela reposera, en partie, sur une formule de financement « payez selon les économies réalisées » en vertu de laquelle on peut réaliser des économies sans payer les coûts initiaux[4]. On prévoit la création de 65 000 emplois d’ici 2020 grâce à cette mesure.


Comment maintenir les taux d’imposition à des niveaux relativement faibles?

Quand le logement n’est pas abordable, il n’y a pas d’argent pour acheter des aliments sains, investir dans les études ou inscrire les enfants à des activités récréatives. Une mauvaise santé devient plus probable. Un emploi devient très difficile à trouver et à garder. Mais un logement abordable et sûr améliore les résultats sur les plans de la santé, de l’emploi et de l’éducation et réduit donc le coût pour les pouvoirs publics, car les ménages ont moins besoin de services, comme l’aide au revenu, et pèsent moins lourdement sur des systèmes comme la santé. Le recours au système de justice pénale coûteux et à d’autres systèmes d’urgence diminue également. Lorsque les besoins de dépense diminuent, les taux d’imposition peuvent diminuer eux aussi.


Comment atteindre un budget équilibré?

Quand on élabore des budgets, il faut une vision globale et à long terme qui tient compte du coût de l’inaction. Ainsi, pour ceux qui ne peuvent même pas choisir entre payer le loyer ou l’épicerie, l’itinérance devient non seulement un risque individuel très grave, mais également une dépense publique considérable. Les itinérants accaparent de manière disproportionnée les systèmes de santé, de justice pénale et de services sociaux onéreux. Des logements supervisés pour les sans‑abri constituent un investissement sensé; ils éliminent les coûts d’un accès répété aux services d’urgence et aident à prévenir l’itinérance et à y mettre fin. À partir de la stabilité qu’offre un foyer sûr et abordable et avec des formules d’aide appropriées, les particuliers peuvent commencer à s’attaquer aux causes premières de leur sans‑abrisme. Le gouvernement de l’Alberta a récemment chiffré à 114 850 $ par année le coût des services habituellement utilisés par un itinérant chronique de l’Alberta, comparativement au coût de prestation d’une habitation avec services pour aider cette même personne, qui se situe à environ 34 000 $ par année[5]. C’est ce genre de décision qui améliorera les résultats et optimisera la valeur des deniers publics.


Le portrait actuel de l’habitation

Environ 1,5 million de ménages – soit près de 13 % de tous ménages – ont un « besoin impérieux de logement », autrement dit, ils ne peuvent tout simplement pas avoir accès à un logement convenable à un prix abordable. Ces ménages ne peuvent pas trouver une demeure qui coûte moins de 30 % de leur revenu avant impôt, qui compte un nombre suffisant de pièces et qui n’a pas besoin de réparations majeures. Des groupes particuliers sont plus susceptibles que d’autres d’avoir un besoin impérieux de logement; ils comprennent les familles monoparentales (25,7 %), les immigrants (18,2 %), et les ménages autochtones (20,4 %). Les ménages de 65 ans ou plus sont à risque eux aussi, car ils représentent près du quart de tous les ménages ayant un besoin impérieux de logement. Ces groupes risquent de devenir sans-abris et sont confrontés à une instabilité qui leur permet difficilement de se concentrer sur l’amélioration de leur situation professionnelle, scolaire ou familiale. Ces dernières années, l’itinérance a persisté et augmenté au Canada[6], car on évalue que de 150 000 à 300 000 Canadiens sont sans abri.

De nombreuses raisons expliquent pourquoi les logements ne sont pas abordables et l’itinérance persiste. La stagnation des revenus, en plus de la hausse du chômage et du sous-emploi, sont de grands facteurs, mais il y a aussi des causes propres au logement.

Premièrement, des subventions fédérales d’une valeur de 1,7 milliard de dollars qui ont permis aux logements sociaux d’être abordables pour 613 500 ménages en 2010 expireront bientôt. Par rapport à 2010, 9 900 ménages de moins seront appuyés en 2011[7]. Des recherches menées par l’ACHRU indiquent que de nombreux fournisseurs de logements sociaux ne pourront pas maintenir des loyers abordables sans aide, lorsque les accords expireront. Le nombre de ménages appuyés continuera de décliner jusqu’à l’expiration de tous les accords. L’ACHRU ne sait pas si le gouvernement fédéral a un plan pour que les fournisseurs de logements sociaux puissent continuer à offrir des loyers abordables à ces ménages à faible revenu.

Deuxièmement, le marché locatif, qui a été la source de logements relativement abordables pour de nombreux Canadiens, est cassé. Les 3,6 millions de ménages locataires du Canada sont dans une situation encore plus précaire, car ils sont quatre fois plus susceptibles que les propriétaires d’avoir des besoins impérieux de logement[8]. Cela s’explique par une offre insuffisante de logements locatifs par rapport à la demande, ce qui a fait monter les prix, puisque les ménages sont plus nombreux à chercher à occuper un plus petit nombre de logements en location. Entre le recensement de 2001 et de 2006, pour la première fois, le nombre de logements locatifs occupés au Canada n’a pas augmenté, malgré le fait que la population du Canada a augmenté de 5,4 % durant cette période, soit la plus forte hausse de tous les pays du G8. De 2000 à 2010, 18 000 logements locatifs ont été perdus[9]. Il n’est donc pas étonnant que le taux national d’inoccupation des logements locatifs soit descendu à 2,5 % en avril 2011[10], soit bien en deçà de ce qui est requis dans un marché en santé[11]. Certaines villes avaient leur propre situation de précarité. Par exemple, le taux d’inoccupation à Winnipeg et Regina était très bas, à 0,7 %, et Toronto et Montréal ne suivaient pas loin derrière avec des taux respectifs de 1,6 % et 2,5 %. C’est arrivé en l’absence de mesures particulières pour favoriser le développement des logements locatifs qui existaient par le passé, comme le programme des immeubles résidentiels à logements multiples (IRLM) des années 1970.

Troisièmement, l’accession à la propriété est devenue un fardeau plus lourd pour les ménages[12], les familles à revenu moyen étant de plus en plus évincées. Avant 2000, les prix des habitations ont représenté pendant 20 ans de trois à quatre fois le revenu provincial annuel médian. Les prix des habitations représentent actuellement de 4,7 à 11,3 fois le revenu annuel des Canadiens.

Enfin, même si les investissements comme ceux qui ont maintenant été réalisés dans le cadre du PAEC et ceux des fonds fédéraux du logement et de lutte contre l’itinérance actifs jusqu’en 2014 (la Stratégie des partenariats de lutte contre l’itinérance et l’Initiative en matière de logement abordable et les programmes de rénovation de la SCHL et des initiatives semblables) ont fait une réelle différence, ils ne suffisent pas. Par exemple, 5 040 logements ont été créés par l’Initiative en matière de logement abordable en 2010. C’est un pas dans la bonne direction, mais c’est un faible résultat comparativement au 1,5 million de ménages dans le besoin. De même, le renouvellement du programme écoÉNERGIE Rénovation pour un an est la bonne décision, mais cela ne suffit pas. Si chaque ménage participant reçoit la subvention maximale de 5 000 $, seulement 800 ménages auront participé. De nombreux ménages à faible revenu ou à revenu moyen qui en profiteraient le plus ne peuvent pas avoir accès aux programmes, car les coûts à assumer au départ dépassent les moyens de ménages qui consacrent déjà la plus grande partie, sinon l’intégralité, de leur revenu disponible aux besoins fondamentaux, dont le logement.


Inclusions dans le budget 2012 qui placeront le Canada dans la bonne voie

Il faut une approche stratégique et du financement à long terme, prévisible et durable pour prévenir les coûts manifestes de l’inaction lorsque les Canadiens ne peuvent obtenir un logement sûr et abordable. Compte tenu de cet objectif général et en se fondant sur les investissements fédéraux existants qui ont fait une différence, nous présentons trois demandes pratiques et sensibles au coût pour le budget 2012 :

  1. Tel qu’indiqué ci-dessus, les accords d’exploitation sur le logement social commencent à expirer et de nombreux fournisseurs de logements sociaux ne pourront plus maintenir leurs loyers à des prix abordables pour plus de 600 000 ménages. Même s’il se pourrait au début que les loyers restent liés au revenu sans soutien fédéral, les revenus de location – parce qu’ils sont bas par définition – seront probablement insuffisants pour payer les coûts d’immobilisation et d’entretien à court ou à moyen terme. Dans cette situation, un fonds de durée limitée semblable au financement du PAEC pour la rénovation des logements sociaux pourrait être créé afin que les fournisseurs de logements sociaux effectuent les réparations, les rénovations ou les travaux d’amélioration de l’efficacité énergétique qui leur permettraient de continuer à appuyer les ménages dans le besoin. Ce fonds serait financé sans coût supplémentaire, étant donné les réductions considérables des dépenses fédérales consacrées au logement social à mesure que les accords expirent. Cette initiative obligerait aussi les fournisseurs qui auraient accès aux fonds à signer des accords de conformité qui annuleraient le risque documenté que les fournisseurs se dérobent de leur mission de fournir des logements à ceux qui en ont besoin à la fin des accords d’exploitation. Ce fonds créerait des emplois, éviterait que des logements abordables se perdent et améliorerait l’efficacité énergétique.

  2. Afin de pallier la pénurie de logements locatifs au pays qui a rendu les loyers inabordables pour les familles à faible revenu et à revenu moyen, il faut des encouragements pour stimuler la construction de logements locatifs. Une initiative pourrait être conçue afin que la SCHL offre des prêts à faible taux d’intérêt aux investisseurs qui construiraient des logements locatifs du marché primaire et des encouragements supplémentaires sous forme de réduction des taux d’intérêt pour les propriétaires d’immeubles locatifs qui s’engagent à maintenir les loyers à un prix modéré. Les coûts d’administration étant faibles, cette mesure pourrait se réaliser à un coût relativement bas. Ce fonds créerait des emplois et rendrait les logements plus abordables.

  3. Le financement des programmes existants de logement et de lutte contre l’itinérance devrait être bonifié et prolongé[13]. Le financement annuel devrait être doublé et se situer à 787,9 millions de dollars, et il devrait être prolongé jusqu’en 2017. Il comprend les mécanismes provinciaux et territoriaux comme l’Initiative en matière de logement abordable et les programmes de rénovation de la SCHL, la Stratégie des partenariats de lutte contre l’itinérance et le programme écoÉNERGIE Rénovation.


[1] Steve Pomeroy, Focus Consulting, Sustaining the Momentum: Recommendations for a National Action Plan on Housing and Homelessness, préparé pour la Fédération canadienne des municipalités, 2008.

[2] Le Plan d’action économique du Canada, Septième rapport aux Canadiens, tableau A.1, janvier 2011.

[3] Les initiatives comprennent celles des membres de l’ACHRU Warm Up Winnipeg/BUILD, Choices for Youth et Broadway Youth Resource Centre.

[4] Département de l’Énergie et du Changement climatique du Royaume-Uni, Warm Homes, Greener Homes: A Strategy for Household Energy Management.

[5] Secrétariat à la lutte contre l’itinérance de l’Alberta, A Plan for Alberta: Ending Homelessness in 10 years, 2008.

[6] Une hausse moyenne de 32 p. 100 du nombre de lits permanents dans les refuges offert entre 2001 et 2006 dans 12 grandes et moyennes villes mentionnées dans le rapport « Renforcer le filet social du Canada : Le rôle des gouvernements municipaux » datant de 2010 et produit par la Fédération canadienne des municipalités illustre cette réalité.

[7] Rapport annuel 2010 de la SCHL.

[8] Fédération de l’habitation coopérative du Canada, Le rapport Dunning : L’ampleur des besoins impérieux de logement au Canada, 2009.

[9] Statistiques du logement au Canada, Rapport annuel sur le marché locatif. Cette statistique ne reflète que le marché primaire (immeubles de trois logements ou plus).

[10] Reflète le taux d’inoccupation moyen des logements locatifs dans 35 grandes villes du Canada pour des immeubles privés de trois logements ou plus.

[11] The Wellesley Institute « Painfully low vacancy rates, shrinking number of homes: New national report underlines rental housing woes across Canada », affiché sur Internet, 9 décembre 2010.

[12] Centre canadien de politiques alternatives, Canada’s Housing Bubble: An Accident Waiting to Happen, août 2010.

[13] Les dépenses fédérales annuelles prévues pour 2011-2012 comprennent 128,1 millions de dollars pour les programmes de rénovation de la SCHL ou l’équivalent, 125 millions de dollars pour l’Initiative en matière de logement abordable ou l’équivalent, 400 millions de dollars pour le programme écoÉNERGIE Rénovation et 134,8 millions de dollars pour la Stratégie des partenariats de lutte contre l’itinérance.